Jacques et Jean-Pierre Favino

Favino est un des grands noms de la lutherie, associé à quelques artistes majeurs, comme Matelo Ferret ou Georges Brassens. Après avoir terminé les Arts Appliqués, Jean-Pierre entre comme ouvrier dans l'atelier de son père, avec lequel il travaillera de 1973 à 1978, année où Jacques Favino se retire définitivement pour "passer la main" à son fils. Si le nom des Favino reste indissociable de la fameuse "guitare jazz" type Selmer Maccaferri, le choix de Jean-Pierre de quitter Paris et le légendaire atelier de la rue de Clignancourt, au début des années 90, marque un changement d'époque.

D'un château l'autre…

Si, pendant une trentaine d'années, presque tout ce qui compte en matière de gratteurs de six-cordes a fréquenté à un moment ou à un autre l'atelier Favino, c'est que la gentillesse de Jacques avait permis qu'il devînt un "repaire" de musiciens. Tout en bénéficiant encore aujourd'hui de cette image de marque, Jean-Pierre, qui exerce seul depuis 1984, a ressenti le besoin de s'isoler : "C'était parfois un grand plaisir mais je n'avançais pas ! Les gens entraient et sortaient de l'atelier quand ils en avaient envie…". Difficile, dans ces conditions ( lorsqu'on est seul pour "répondre au téléphone, recevoir les clients, réparer, fabriquer, accueillir les musiciens qui passent faire le bœuf…"), de se concentrer sur son métier; surtout si l'on a, comme Jean-Pierre, pas mal d'idées en tête, et qu'on cherche à les développer. Celui-ci s'installe donc à Castelbiague, au pied des Pyrénées, dont le cadre naturel - superbe - favorisera l'éclosion de ses propres conceptions.


Le changement dans la continuité

Un "virage" aujourd'hui parfaitement négocié, si l'on en croit les chiffres, puisque Jean-Pierre a dorénavant devant lui un an et demi de commandes, au rythme d'une guitare par mois, soit une douzaine au total dans l'année. Si les "jazz" représentent toujours une part importante de la production (environ 50%), la "Brassens" revient en force, avec 30% des commandes, le reste se répartissant en classiques et folk, plus quelques instruments "hors normes". Il y a "un son" Favino, dont Jean-Pierre a toujours souhaité maintenir la spécificité. "Je n'ai jamais cherché ni voulu copier exactement la guitare Selmer. Tout le monde veut reproduire le son Django, en oubliant souvent que c'est Django qui joue ! Matelo Ferret, qui avait appris avec Django, mais qui ne jouait pas comme lui, avait un tel coup de plume qu'on le reconnaissait sur n'importe quelle guitare, y compris des "nylon" ! D'autre part, bien que j'emploie des bois de plus de vingt ans, on ne peut pas demander à une guitare neuve de sonner comme une guitare qui en a quarante. L'âge y fait énormément. Sur mes guitares, comme sur la plupart des instruments faits main !"


Le modèle Brassens

"Dany Brillant vient d'en acquérir une. C'est un modèle sympa mais très mal connu, que Brassens avait justement choisi à cause de sa polyvalence. On l'a qualifiée de "guitare d'accompagnement" pour que les gens puissent s'y retrouver, mais elle peut s'adapter à beaucoup de musiques différentes : jazz, bossa, classique même, bien que les cordes soient métalliques. Celles-ci sont attachées au cordier, en bas de caisse, et passent ensuite dans un chevalet classique. L'instrument bénéficie donc des deux mouvements : une poussée et une torsion, les deux forces s'équilibrant."


Evolution

"Dans mon travail, dans ma façon d'être, je fais beaucoup moins de gestes qu'avant, moins d'efforts, en essayant de réfléchir davantage à ce que je suis en train de faire. En matière de "son sur mesure", je réponds également mieux à la demande. C'est dans cette direction-là que je creuse. Je ne sais pas si un jour on peut cerner complètement le problème, on ne maîtrise jamais rien tout à fait, mais on peut resserrer et arriver à un résultat intéressant. Au fil du temps, quelque chose se développe, comme l'intuition ou le "sens" du métier. Je continue mes expériences sur les épaisseurs, les qualités de bois. Dans les montages intérieurs, par exemple, le choix de telle ou telle qualité d'épicéa, ou parfois de l'acajou, iront avec ce que je sens de la table (en testant sa souplesse et en la manipulant). Tout ça influe sur le son de la guitare. Personnellement, ça m'a permis d'évoluer et de savoir à peu près ce qui se passait avec tel ou tel bois." Jean-Pierre adore aussi expérimenter, comme avec cette "guitare réversible" construite pour Enrico Macias. "Au départ, il s'agissait simplement de construire un instrument à deux faces, réversible : deux guitares en une seule ! Je ne pensais pas qu'elle sonnerait aussi bien d'un côté que de l'autre. Ça bouscule pas mal de règles sur la lutherie… Ce qui prouve qu'on peut sortir des règles à chaque instant !"